Le processus créateur, un texte de Claude Simon
- At janvier 26, 2014
- By Françoise
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Je ne connais pour ma part d’autres sentiers de la création que ceux ouverts pas à pas, c’est-à-dire mot après mot, par le cheminement même de l’écriture.
Avant que je me mette à tracer des signes sur le papier il n’y a rien, sauf un magma informe de sensations plus ou moins confuses, de souvenirs plus ou moins confus, accumulés et un vague – très vague – projet. C’est en écrivant que quelque chose se produit dans tous les sens du terme. Ce qu’il y a pour moi de fascinant, c’est que ce quelque chose est infiniment plus riche que ce que je me proposais de faire.
Il semble donc que la feuille blanche et l’écriture jouent un rôle au moins aussi important que mes intentions, comme si la lenteur de l’acte matériel d’écrire était nécessaire pour que les images aient le temps de venir s’amasser (cependant, parfois, celles-ci arrivent plus vite, et je suis obligé de m’interrompre pour les noter rapidement en marge). Ou peut être ai-je besoin de voir les mots, comme épinglés, présents, et dans l’impossibilité de m’échapper ?…
Les mots sont autant de carrefours où plusieurs routes s’entrecroisent. Et si, plutôt que de vouloir traverser rapidement ces carrefours, en ayant déjà décidé du chemin à suivre, on s’arrête et on examine ce qui apparaît à leur lueur ou dans les perspectives ouvertes, des ensembles insoupçonnés de résonnances et d’échos se révèlent.
Claude Simon, prix Nobel de littérature en 1985
Début de la Préface manuscrite d’Orion aveugle (Skira, Les sentiers de la création, 1970)
Ce texte a été repris et développé ensuite dans Les Corps conducteurs parus en 1971 aux éditions de Minuit
Danielle Stéphane
Très beau texte sur le travail de création, valable pour l’écriture mais aussi pour les arts plastiques et, je pense, pour la musique. C’est le « faire » qui est important : le passage dans le concret active le mental. D’où l’importance de la main… souvent négligée.